lundi 25 avril 2011

Zinat Al Hayat, une telenovela 100% marocaine tentée par la SNRT


La famille Zitouni, emmenée par le cupide et tyrannique Omar, est mue par la volonté de monopoliser l’immobilier. Pour y parvenir, il faut qu’elle écrase sa rivale de toujours, la famille Abdi. Telle est la trame de Zinat Al Hayat, une série 100% marocaine diffusée depuis le 4 avril par Al Oula tous les jours à 20 h. Volonté de puissance, querelles intestines, intrigues amoureuses, histoires d’héritages… Rien de nouveau sous le soleil des telenovelas, diriez-vous. Rien, en effet, si ce n’était cet inédit d’importance que représente le fait que cette création a été conçue, écrite, puis tournée au Maroc. Avec un tel atout, Al Oula compte porter un bon coup, susceptible de décupler son audience à une heure de grande écoute et, partant, de lui faire emporter sur 2M cette énième bataille à coups de telenovelas.


La première telenovela était brésilienne, elle s’appelait «Dona Beija» et a été diffusée sur 2M
L’idée de Zinat Al Hayat s’est imposée à l’esprit des concepteurs de la telenovela il y a deux ans. Sans dédaigner les créations étrangères, le téléspectateur marocain est friand de celles du cru, où il peut se mirer comme devant une glace. Selon Taoufik Bouchaara, directeur des productions à la SNRT, «l’objectif du projet est double : insuffler une nouvelle dynamique dans le paysage audiovisuel national et faire émerger une force motrice industrielle dans ce secteur. En claire, passer d’une culture “artisanale” à des productions télévisuelles industrialisées qui utilisent des techniques modernes et des infrastructures dignes des grandes telenovelas internationales». Sauf qu’il y a loin de la coupe aux lèvres et qu’il fallait prendre son temps, ne pas faire dans la précipitation, sous peine de voir le dessein avorter, d’autant plus qu’il relève du défi. C’est ainsi que six mois ont été nécessaires pour constituer la distribution et tisser le scénario. Il est à noter que les acteurs qui ont pignon sur plateau n’ont pas été favorisés, au profit de talents prometteurs, tendres ou franchement inconnus. «Je tiens à rappeler, précise Nabil Ayouch, producteur exécutif, que l’ensemble des comédiens de la série sont marocains et que 95% d’entre eux sont peu connus du grand public. C’est une opportunité pour eux de se faire remarquer». En cela, les concepteurs de Zinat Al Hayat ne se démarquent pas des usages de rigueur dans le milieu des telenovelas : choisir essentiellement des acteurs peu en vue pour ne pas faire plomber le budget.
Il a fallu six mois pour préparer «Zinat Al Hayat», 108 jours ont suffi pour le tournage
Pour l’écriture de la telenovela, pas moins de quinze scénaristes ont été mis à contribution. Et comme ce domaine leur était étranger, ils se faisaient épauler par TelFrance. «Sur le plan de l’écriture, nous avons collaboré avec TelFrance, leader français de la production audiovisuelle et producteur, entre autres, de “Plus belle la vie”, une telenovela à succès. Ce partenariat, qui a porté sur l’écriture mais aussi sur le développement de la production, a été fructeux, car nous bénéficions d’un transfert technologique, de savoir-faire et d’une expertise d’envergure internationale. Partenaire de choix, TelFrance s’est adapté parfaitement à la culture marocaine et a rapidement assimilé dans le cadre de ses actions le positionnement 100% marocain de Zinat Al Hayat», se réjouit Nabil Ayouch. L’écriture ne fut pas une sinécure, du moment où elle exigeait de relever la sauce telenovelasque, d’essence brésilienne, mexicaine ou turque, par des condiments purement locaux. En surfant sur l’identité problématique, la fragilisation des liens de famille et autres figures imposées telles que la vengeance, le culte du pouvoir et le pouvoir de l’argent, les scénaristes ont tiré brillamment leur épingle du jeu.
Pour construire les décors voulus impressionnants, il a été fait appel à des décorateurs triés sur le volet. Avec bonheur, si l’on en croit Taoufik Bouchaâra et Nabil Ayouch qui ne sont pas peu fiers des 53 décors plantés pour les beaux yeux de Zinat Al Hayat. «Le plus grand décor jamais construit au Maroc», s’émerveille le directeur des productions de la SNRT. Une fois les comédiens sélectionnés, le scénario ficelé et les décors installés, il convenait de s’atteler à une tâche redoutable : le tournage. Il démarra le 25 novembre 2010, jeta son dévolu sur un studio de 1 200 m2, à vingt kilomètres au sud de Casablanca, et il fut mené au pas de charge : 16 heures par jour, souvent sur plus d’un plateau. Cent huit jours plus tard, l’affaire était dans le sac, dûment pliée et en attente de comparution devant le public.
La guerre des telenovelas a commencé en 1990. Soucieuse d’élargir son audience payante aux ménagères, 2M glisse, dans un créneau horaire peu meublé (14 h - 14 h 30), une telenovela brésilienne du nom de Donã Beija. L’effet est inattendu : très vite, les femmes, toutes catégories socioprofessionnelles confondues, vont s’attacher à cette belle courtisane en quête de vengeance sur l’homme qui l’a réduite à monnayer son splendide corps, au point de la rebaptiser «Bahija» et d’en faire le principal sujet de leurs causettes. Dans la brèche juteuse ouverte par 2M s’engouffrera la RTM. Les deux chaînes enchaînent des telenovelas malheureusement de piètre facture et médiocrement doublées en arabe. Jusqu’à ce que la RTM sorte le grand jeu. Il est de couleur mexicaine et il s’appelle Guadalupe.
Guadalupe, l’héroïne, a tout pour plaire aux âmes sensibles. Elle est jolie comme un cœur, innocente comme un ange, riche comme Crésus, mais incapable de jouir en toute quiétude de sa fortune. Car ses diaboliques taties tentent d’en faire main basse. Elles lui enlèvent, d’abord, son bébé prénommé Cokito, afin de briser son équilibre psychique ; ensuite, elles ourdissent son internement. Jamais protagoniste d’une série n’aura produit un effet aussi impressionnant sur les téléspectateurs. Ils se mirent à s’identifier à elle, exultant quand elle se réjouissait d’avoir vaincu le Mal, s’attristant lorsqu’elle avait du vague à l’âme à la suite d’un coup du sort. Non seulement Guadalupe battait des records d’audience (entre 60 et 80%), mais la telenovela devint un phénomène de société. Une eau de toilette et un tissu lui empruntèrent le nom. Et quand l’actrice qui campait le personnage de Guadalupe fut invitée au Golf Dar Salam, à Rabat, elle reçut un accueil digne d’une princesse.
Il est très tôt pour savoir si Zinat Al Hayat agrée ou non les téléspectateurs, mais elle brandit des arguments suffisants pour conquérir les cœurs comme Guadalupe, il y a quinze ans.
En tout cas, les succès du passé confortent le sentiment que les tenenovelas, quand elles sont intelligibles, captivent, capturent, aimantent le téléspectateur marocain, avec leurs demeures fastueuses, leurs histoires de cœur et de fric, et leurs héroïnes belles à damner un saint. C’est pourquoi la SNRT et Ali N’Productions ont pris le risque calculé de se jeter dans l’aventure - peu aventureuse - de la telenovela made in Morocco.

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